Éditions GOPE, 468 pages, 13x19 cm, 24 €, ISBN 978‐2‐9535538‐2‐6

lundi 25 juillet 2011

Mason a su s’effacer et braquer le projecteur sur Suzie

Les éditions Gope rééditent dans une nouvelle traduction ce classique de la littérature anglophone, une histoire d'amour entre un étranger et une prostituée dans le Hong Kong de 1957. L'éditeur, David Magliocco répond à nos questions.

ALC : Pourquoi rééditer ce livre aujourd'hui, et que peut apporter sa lecture en 2011 ?
David Magliocco : Toute personne qui s’intéresse à Hong Kong, à la prostitution, aux relations entre Orient et l’Occident (et notamment aux romances mettant en jeu un Occidental et une Orientale au sens large), a entendu parler de Suzie Wong. Quelquefois, sans trop savoir s’il s’agit d’un livre, d’un film, d’un fait-divers…

Or, il s’agit avant tout d’un livre, un très beau livre, écrit par un anglais, Richard Mason, en 1957. La version originale anglaise n’ayant pas pris une ride - ce qui n’est pas le cas de la version française éditée dans les années soixante et qui n’est d’ailleurs plus disponible depuis plusieurs décennies - nous avons donc décidé de réviser, corriger, augmenter la traduction et de republier Le monde de Suzie Wong.
Le but était de lui garder un petit côté rétro et de gommer tous les aspects démodés. En effet, il s’agit d’un premier ouvrage d’une série consacrée à Hong Kong, et le suivant, À la poursuite de Suzie Wong de James Clapp, à paraître fin 2011, reprendra une partie des personnages dans le Hong Kong de 1997, juste avant la rétrocession.

Ce livre est à la fois moderne et à la fois une image d’un passé révolu.

En effet, l’histoire d’amour de Robert Lomax et de Suzie Wong, une histoire d’un amour impossible, est intemporelle et se répète aujourd’hui même en Thaïlande, aux Philippines, etc. Remplacez seulement Suzie par Noi et Hong Kong par Bangkok et le tour est joué.

Et pourtant, depuis les années cinquante, notre relation avec l’Asie a énormément changé. Le monde de Suzie Wong est le monde d’hier, celui d’un Hong Kong qui a disparu, avalé par une frénésie de progrès que rien n’avait semblé arrêter jusqu’à présent. La fascination a changé de camp et la lecture des deux livres permettra de juger de cette évolution et de faire la comparaison avec la situation présente.

ALC : Comment expliquez-vous le succès qu'à eu le livre à l'époque de sa première publication ?
Ce livre a surtout eu un retentissement dans le monde anglo-saxon. À cause du côté sulfureux, l’histoire se déroule dans un hôtel de passe. Une récente affaire de mœurs mettant en cause un homme politique français a montré que notre conception de la sexualité ou de la prostitution n’est pas du tout la même en France.
D’ailleurs, quand Le monde de Suzie Wong est sorti, les maisons closes étaient officiellement interdites depuis peu en France et la capitale avait un grand nombre de bordels clandestins. De plus, la France était surtout polarisée sur ses colonies – dont l’Indochine - et Hong Kong, colonie anglaise, ne faisait pas vraiment partie des sujets favoris.
Je crois donc que ce livre est passé relativement inaperçu en France bien qu’il ait été publié après la sortie du film avec William Holden et Nancy Kwan.
Ce livre a eu aussi du succès, je crois, grâce au talent de Richard Mason qui a su rendre le personnage de Suzie Wong vraiment attachant et inoubliable. Il n’y a pas de hasard, et, année après année, décennie après décennie, génération après génération, le constat est le même, le lecteur (ou la lectrice) en pince malgré lui (elle) pour Suzie Wong. 
Bien que narré à la première personne, ce livre est à des kilomètres de ces autobiographies et autres autofictions si populaires en France et où on frôle l’overdose de « je » ; Mason a su s’effacer et braquer le projecteur sur Suzie. D’ailleurs, une fois le livre refermé, on ne sait pas vraiment quel âge a Robert Lomax et à quoi il ressemble.
Contrairement à Woman of Bangkok de Jack Reynolds, sorti peu avant et qui a le même thème, le livre de Mason a aussi une condition sine qua non pour plaire à un public anglophone, un happy end .
Le film a bien sûr permis de faire connaître Hong Kong dans le monde entier, et a contribué à la longévité du livre.

ALC : Les lecteurs occidentaux expatriés en Chine pourront-ils se reconnaître dans le personnage de Robert ?
« Les livres ne nous apprennent rien, au mieux ils nous confirment ce que nous savons déjà » a dit ou cité Henry Miller. La même histoire peut se répéter à peu de chose près à Pékin, où un expatrié pourrait rencontrer une fille d’Oulan-Bator dans un bar de Pékin, comme le Club Suzie Wong à Chaoyang Park. La boucle serait bouclée.

Benjamin Gauducheau (Aujourd'hui la Chine)
http://chine.aujourdhuilemonde.com

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